mardi 20 juillet 2010

L’économie en chute libre

By PAUL CRAIG ROBERTS

J'admire Joselph E. Stiglitz parce qu'il a une conscience sociale et un sens de la justice dont l’absence transforme les économistes en monstres. En dépit de ses vertus et de son Nobel, en tant qu’économiste Stiglitz est parfois à côté de la question. Les lecteurs de mon nouveau livre, How The Economy Was Lost (Comment l’économie a été perdue), sauront que je prends son œuvre pour une fonction de production à la Solow-Stiglitz, qui induit gravement en erreur l'économie au sujet de la rareté du capital de la nature.

Un autre défaut de Stiglitz, qu'il partage avec la plupart des économistes, c’est son habitude à personnifier l'économie de marché. Le marché est une organisation sociale. Les résultats de l'activité du marché reflètent le comportement des hommes qui y participent. Quand l’économiste personnalise le marché, il lui attribue le comportement humain, c’est-à-dire, la présence ou l’absence de déontologie et de moralité. Ainsi, Stiglitz décrit les défaillances humaines comme des « défaillances du marché, » et il demande dans son nouveau livre, Freefall (Chute libre), « pourquoi ne pas discipliner l'exercice du marché dans la mauvaise gouvernance professionnelle et les mauvaises structures incitatives ? »

Les institutions sociales sont inertes. N’étant pas douées de vie, elles ne peuvent guère donner de bons fruits en face de l'action humaine.

Les libertaires personnifient eux aussi les marchés, mais au lieu de leur reprocher les défaillances humaines, ils leur attribuent des vertus humaines. Et même avec de formidables vertus humaines, les marchés ne peuvent guère améliorer leurs productions. Des prix Nobel ont été décernés à des économistes pour leurs « modélisations des risques, » et Alan Greenspan de la Réserve fédérale a attribué à cette institution sociale une sagesse économique dépassant l'homme.

Il est probable que la pratique de personnalisation de l'économie de marché s’est développée comme une forme de sténographie. Il était commode de dire que le marché fait ceci et cela plutôt que de devoir décrire les interactions humaines qui ont produit les résultats. D'une abstraction, le marché a été transformé en une forme de vie, et il est devenu acteur à la place de l'être humain qui fait marcher l'institution.

Si les résultats sont bons, les libertaires les attribuent aux bonnes vertus du marché ; s’ils sont mauvais, les libertaires en font porter le chapeau à l’intervention humaine, à la réglementation gouvernementale. Les économistes ayant les convictions de Stiglitz voient cela d’une manière inverse. Les bons résultats sont produits par le règlement ; les mauvais résultats découlent d’avoir permis au marché de prendre ses propres décisions.

Cette façon de penser, qui personnifie une institution sociale, est enracinée dans l'économie. C’est la source d’une immense confusion et il en résulte une bataille idéologique ne rimant à rien et qui fait toujours rage, que Stiglitz appelle « une bataille d'idées. »

Il est possible de dissiper la confusion. D'abord, comprendre qu'un marché libre est un marché où les prix sont libres de réagir à l'offre et à la demande. Les économistes de tous bords comprennent que fixer le prix en dessous du prix de l'offre et de la demande signifie des pénuries en résultat. Les économistes ont appris cela de la maîtrise des loyers. Fixer le prix au-dessus du prix de l'offre et de la demande signifie des excédents en résultat. Les économistes ont appris cela des subventions agricoles. Marché libre ne signifie pas marché dans lequel le comportement humain n'est pas réglementé. Un marché est libre quand il permet de rendre égales l'offre et la demande.

Deuxièmement, comprendre que le règlement contrôle le comportement humain, et non pas le marché. Ce sont les acteurs du marché qui sont accusés d’enfreindre le règlement et non pas l'institution elle-même. La réglementation est nécessaire du fait des faiblesses humaines, comme l'avarice, la tromperie, la négligence, et non pas à cause des défauts du marché. Le règlement est nécessaire à cause des insuffisances de l'homme, pas à cause des ratés du marché.

Troisièmement, comprendre que le problème du règlement c'est d’être fait par des hommes imparfaits. Les défauts de l'homme ne disparaissent pas en déplaçant leur action de l'économie au gouvernement. C’est d’ailleurs plus susceptible d’aggraver les inconvénients car les décisions du gouvernement sont souvent inexplicables. De nombreux économistes supposent que les organismes de régulation agissent dans l'intérêt public. Pourtant, comme George Stigler, un autre prix Nobel, l’a souligné il y a plusieurs décennies, les organismes de régulation sont invariablement sous la coupe de secteurs qu'ils réglementent.

Il existe d'innombrables exemples d’organismes de réglementation – de gouvernements entiers, à vrai dire – sous la coupe d’intérêts privés qu'ils sont censés contrôler. Par exemple, dans une récente publication réservée aux abonnés de CounterPunch (16-30 juin), Jeffrey St. Clair décrit en détail la relation incestueuse entre l’organisme de gestion des ressources minérales du gouvernement et l'industrie pétrolière. Un organisme chargé de réglementer l'impact du forage pétrolier sur l'environnement est devenu « un auxiliaire administratif de la grande industrie pétrolière. » D’où le drame écologique du golfe du Mexique et la catastrophe qui paraît imminente le long des côtes fragiles d'Alaska.

Des économistes et des universitaires sont certainement souvent eux-mêmes sous la coupe de groupes d'intérêt privés et transformés en comparses. Dans How The Economy Was Lost, j'accuse des économistes d’agir en compères de compagnies transnationales quand ils décrivent à faux la délocalisation de l’emploi comme un mécanisme bénéfique du libre-échange. Tout comme le lobby d’Israël, des entreprises ont découvert que l'argent peut acheter des professeurs, des instituts universitaires et des clubs de réflexion, aussi bien que des journalistes.

La délocalisation transforme le salaire du travailleur en prime de rendement pour cadres, en gains de capital pour actionnaires, et en honoraires et subventions de recherche pour les économistes qui se font complices de la pratique.

Le problème auquel fait face l'économie zunienne est bien plus grave que la crise financière issue de la déréglementation de la finance. La raison de l’incapacité des politiques monétaires et financières traditionnelles à relancer l’économie, c'est que celle-ci a été bien trop délocalisée. Comme les emplois sont partis, il n'y a pas de travail. Les taux d'intérêt bas et les énormes dépenses du gouvernement ne peuvent pas demander le retour des travailleurs. Nous avons là une véritable chute libre.

Paul Craig Roberts fut secrétaire adjoint au Trésor durant le premier mandat du Président Reagan et rédacteur en chef adjoint au Wall Street Journal. Il a occupé de nombreux postes universitaires et a reçu la Légion d'Honneur sous François Mitterrand. Il est l'auteur de Supply-Side Revolution : An Insider's Account of Policymaking in Washington; Alienation and the Soviet Economy et de Meltdown: Inside the Soviet Economy. Il est coauteur avec Laurent M. Stratton de The Tyranny of Good Intentions : How Prosecutors and Bureaucrats Are Trampling the Constitution in the Name of Justice. Son tout dernier livre est How The Economy Was Lost.

Original: www.counterpunch.com/roberts07152010.html

Source: alterinfo.net

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